A mon propos
Résumé : j'ai 32 ans et ça s'incrémente une fois par an, Européen, vivant en Normandie, France. Le plus gros de mon temps est consacré à Mandriva Linux dont je suis à l'origine. J'ai passé les dernières sept années de ma vie à consacrer mon énergie à Mandriva Linux, pour la faire connaître aussi largement que possible, et pour qu'elle puisse être considérée comme une alternative réelle aux systèmes d'exploitation propriétaires.Je viens de changer de mission : j'ai quitté le département Communication de Mandriva pour lancer un nouveau département qui va se consacrer exclusivement aux actions communautaires Linux, et tout ce qui touche à la communauté.
Je n'ai jamais été dans l'espace. Je vais essayer d'entretenir mes relations chinoises pour devenir un Taïkonaute.
* Bien entendu, certains d'entre-vous remarqueront que cette auto-interview est un clin d'oeil à celle récente de Mark Shuttleworth *
Je vais écrire ici un peu à propos de Mandriva Linux, pourquoi j'ai démarré ce projet et avec quels objectifs. Je souhaite aussi expliquer comment Mandriva peut être un réel projet de Logiciel Libre et supporter le mouvement libre férocement, tout en étant également une entreprise à but lucratif, qui peut donc rémunérer des personnes pour travailler sur le projet.
Bien entendu, ce document est totalement subjectif, et donc absolument pas la voix officielle de Mandriva. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il est publié sur mon site personnel.
*Pourquoi ai-je créé Mandrake ?*
Pour commencer, je dois avouer que j'ai la certitude depuis longtemps que le Logiciel Libre est l'avenir de l'informatique. Si l'on se penche sur les notions de concurrence dans le domaine du logiciel en général, des coûts de R&D et du coût final du produit logiciel, il est évident que le Logiciel Libre est plus qu'un sérieux concurrent pour le logiciel propriétaire. Il était donc naturel pour moi de lancer quelque chose ayant rapport avec le Logiciel Libre plutôt qu'avec le marché traditionnel du logiciel propriétaire.
Il y a quelques années, en 1998, Linux n'était pas simple du tout à utiliser à moins d'avoir une réelle expérience des systèmes UNIX. Installer un nouveau périphérique signifiait la plupart du temps une recompilation du noyau Linux avec les options adéquates. Utiliser un cd-rom ou un lecteur de disquettes n'était pas possible sans taper des commandes du type "mount -t iso9660 /dev/hdc /mnt/cdrom". Ce qui n'est pas une action triviale pour le néophyte.
Les environnements graphiques sous Linux de l'époque étaient à mon sens plutôt des systèmes de "décoration" de l'écran, pour exagérer un peu. C'était sans doute une bonne manière de justifier l'utilisation de X-Window, plutôt que toute autre chose :)
J'ai donc travaillé plusieurs mois pour créer Linux-Mandrake, seul et contre tous ;) A la maison. Un peu plus tard, quand MandrakeSoft a démarré sur la base de ce projet, il a tout de suite été clair que l'objectif de la société serait de fournir des produits Linux faciles à utiliser, tout en supportant autant que possible le mouvement du Logiciel Libre. Cela n'a pas changé, mais je suis heureux que Mandrake ait apporté au moins cela à Linux, le focus sur l'utilisateur et la facilité d'utilisation.
D'un autre côté je dois avouer que Mandriva était initialement conçu pour être seulement un système "desktop". Je pensais qu'il était mieux et plus rationnel de fournir un OS spécialisé desktop, en reléguant les systèmes serveur soit aux oubliettes soit aux calandes grecques. Et aussi en offrant un bureau graphique unique par défaut. Avec le recul je suis persuadé que c'était une erreur fondamentale de penser comme cela.
Pourquoi donc devrait-on fournir des systèmes d'exploitation hyper spécialisés en limitant les fonctionnalités ? C'est juste une idée séduisante sur le papier, pour les esprits qui préfèrent "la pureté des choses simples" - voire le cloisonnement - au "bordel bouillonnant". Et c'est également une réminiscence de la manière de penser de l'industrie du logiciel propriétaire qui tend à imposer des standards uniques, et des "cases" pour chaque chose.
Mais le Logiciel Libre est vraiment une histoire d'homo-sapiens, et donc de diversité. On peut le voir comme un processus proche de la sélection naturelle mais on peut aussi le voir comme un moyen de combler tous les besoins. Les OS Libres n'ont de limite que l'imagination de leurs créateurs et des besoins existant. Je suis persuadé que cet aspect est une force essentielle par rapport au monde des OS propriétaires.
Au final, je suis particulièrement heureux que Mandriva Linux se soit en fait orienté rapidement vers un système d'exploitation utilisable aussi bien en tant que station de travail qu'en gros serveur d'entreprise. Et même parfois les deux à la fois. Question de choix. Les utilisateurs ont des besoins qui leurs sont propres, ce sont donc eux qui doivent choisir ce qu'il y a dans leur OS, pas l'organisation qui le réalise.
*Est-ce que l'on devra un jour payer une licence ou des royalties à Mandriva *
Absolument pas. Mandriva fait du Logiciel Libre. Tout le code créé par Mandriva est publié en GPL. Nous ne faisons pas de logiciel propriétaire.
Mais j'entends certains me remarquer : "vous mettez des composants propriétaires dans vos packs commerciaux". C'est vrai.
Et nous avons même proposé Netscape, par exemple, pendant longtemps dans la version de base de Mandriva, jusqu'à ce qu'une alternative libre sérieuse - Mozilla - puisse le remplacer comme navigateur web.
Nous mettons effectivement quelques composants propriétaires dans les packs commerciaux de Mandrake, mais plus jamais dans l'arbre complet disponible en téléchargement, qui propose néanmoins plus de 12 000 packages installables.
Au final, nous supportons le Logiciel Libre tout en fournissant un choix supplémentaire aux utilisateurs qui en ont besoin.
*Comment Mandriva peut-il bien être viable ?*
Mandriva Linux emploie à ce jour plus de 130 personnes à plein temps. La moitié environ de cet effectif se compose d'ingénieurs qui consacrent 100% de leur temps à développer du Logiciel Libre. Je pense - enfin je l'espère - que toutes ces personnes se sentent beaucoup mieux à travailler chez nous sur du Logiciel Libre que dans n'importe quel autre entreprise de logiciel propriétaire grise et ennuyeuse.
Cela signifie donc que Mandriva doit avoir des rentrées d'argent pour pouvoir payer toutes ces personnes, moi inclus ! Comment est-ce possible avec un produit Logiciel Libre ? Cela n'est pas toujours trivial mais ce n'est pas non plus *si* difficile.
Tout d'abord, nous avons développé toute une gamme de services qui proposent de réelles valeurs ajoutées aux utilisateurs Mandriva Linux. Typiquement c'est le Club des utilisateurs, mais il y a aussi Mandriva Online, et d'autres à venir. De surcroît, nous vendons des packs: des packs "physiques", et aussi maintenant "virtuels", pour ceux qui possèdent une connexion rapide à Internet. Il est important de comprendre que ce qui est vendu ce n'est pas le logiciel qui est dans le pack, mais le service : avoir le logiciel sur un DVD pressé c'est un service. Avoir une documentation imprimée c'est un service. Ainsi que l'assistance, un accès à Club et à Online, et aussi le fait que tout ça soit proposé en tant qu'ensemble cohérent. Bien entendu, les utilisateurs peuvent télécharger tous les logiciels gratuitement (et beaucoup le font), mais beaucoup également aiment acheter un pack Mandriva parceque ça leur apporte une plus-value réelle.
Par ailleurs, nous faisons des affaires avec des grosses sociétés et des organisations gouvernementales, qui prennent de plus en plus de poids dans le chiffre d'affaire de Mandriva. Nous ne leur vendons pas du Logiciel Libre, nous leur vendons notre expertise en Logiciel Libre. Nous leur vendons des solutions cohérentes pour répondre à leurs besoins, de l'assistance technique etc. Les ventes pré-installées "OEM" avec des partenaires comme HP, Dell et d'autres sont également une source de revenus en croissance.
Enfin, un certain nombre d'utilisateurs ont bien compris que supporter Mandriva Linux, par exemple en achetant très régulièrement les produits, est un moyen excellent d'accélérer le développement du produit et de leur fournir de meilleurs services. Dans une société consumériste, c'est une approche peu commune, mais cela a vraiment du sens au regard du modèle Libre.
Au final, nous avons organisé un écosystème économique qui permet à Mandriva de payer des développeurs de Logiciels Libres.
*Quid de la compatibilité binaire entre les distributions ?*
Beaucoup à été dit sur le fait que Mandriva Linux n'est pas compatible au niveau binaire avec Debian, Ubuntu, Red Hat et d'autres. La plupart du temps, cela se manifeste sous la forme "je ne peux pas installer un package Ubuntu sur Mandriva". Parfois c'est plutôt "Pourquoi Mandriva utilise GCC 4 alors que Debian utilise GCC 3.3 ?". Ou encore "Pourquoi le noyau et la glibc de Mandriva différent de ce que l'on trouve dans la Debian Sarge ?".
Tout d'abord, j'affirme que la "compatibilité binaire" devrait vraiment être le but ultime des distributions Linux. Bien que la compatibilité au niveau source reste le plus souvent possible entre les différentes distributions Linux et tend de ce fait à réduire le risque de "syndrome de Balkanisation UNIX", il serait stupide de ne pas envisager la chose sous l'angle des utilisateurs et des éditeurs de logiciels.
Les utilisateurs de Linux préféreraient clairement un monde où ils pourraient installer un package logiciel conçu pour une distribution Linux X ou Y sur leur distribution Z. Et les éditeurs de logiciels ne se sentent pas spécialement aidés non plus à l'idée de devoir supporter 5 ou 10 distributions Linux différentes. Elles préféreraient pouvoir les supporter toutes à la fois, ou supporter une seule : mais laquelle ?
Mais il y a bien pire encore : parler de compatibilité au niveau du code source plutôt que de compatibilité binaire est une manière biaisée d'envisager les choses. On peut je pense voir ça comme un point de vue aveugle ou une arnaque de l'esprit, au choix. Car le manque compatibilité binaire découle d'un autre problème : le problème de compatibilité avec des versions données d'une bibliothèque. En effet, le Logiciel Libre utilise généralement pour son fonctionnement des bibliothèques externes. Ce qui évite d'avoir à réinventer la roue en permanence. Par exemple Firefox ou Konqueror utilisent chacun plus de 40 bibliothèques externes pour s'éxécuter. Et on trouve bien pire. Or, ces bibliothèques ont la mauvaise idée d'évoluer en permanence. Cela signifie qu'il n'est pas toujours facile de recompiler une application sur deux distributions Linux du même distributeur sorties à 6 mois d'intervalle, et que c'est encore moins simple, évidemment, quand on veut recompiler sur une distribution Y un package issu d'une distribution X. C'est même parfois un enfer, disons-le honnêtement.
Au final, je pense que la seule voie possible pour les distributions Linux est de se mettre d'accord sur des versions de logiciel et de bibliothèques communes à un instant t. Ce qui a l'avantage de : 1) assurer une bonne compatibilité au niveau source 2) de simplifier énormément la compatibilité binaire du même coup, ce qui est le but ultime à atteindre.
Il existe une organisation bien connue qui s'occupe de ce projet de standardisation pour les distributions Linux, et qui est supportée par tous les acteurs Linux majeurs. Il s'agit du Linux Standard Base (LSB).
Pour résumer mon propos à ce sujet : la compatibilité au niveau source est une étape nécessaire mais non suffisante pour aller vers la compatibilité au niveau binaire (à un instant t, évidemment). Et seule une organisation tierce comme LSB peut faire en sorte qu'on arrive à une véritable compatiblité au niveau source, notamment à cause du problème des différentes versions des bibliothèques utilisées.
*Mais j'ai entendu dire que Mandriva Linux est MOINS compatible que d'autres distributions équivalentes ?*
Si vous avez entendu une telle allégation, elle est totalement fausse.
Mandriva Linux, comme toutes les autres distributions Linux majeures, tend à reposer sur des patches et des bibliothèques récentes, et adopte une structure similaire ou approchante à ces autres distributions. Il en résulte qu'on obtient souvent une très bonne compatibilité au niveau source, et même parfois une compatibilité binaire, en fonction des versions utilisées, par exemple entre Red Hat/Fedora et Mandriva. Bien entendu, ce sont des compatibilités binaires accidentelles, sauf quand il s'agit de versions certifiées LSB.
*Et concernant la transistion à GCC 4.0 ? Pourquoi avez-vous adopté GCC 4.0?*
Nous essayons toujours de proposer les dernières versions stables des outils de développement, des bibliothèques et des applications. GCC 4.0 est fourni dans la nouvelle Mandriva Linux 2006.
*Pourquoi est-ce que le fond d'écran par défaut de Mandriva est bleu ? *
Parce que bleu est la couleur de ses yeux, de l'océan et du ciel.
Bleu est aussi souvent la couleur que l'on choisit pour les chambres d'enfant parce que ça les rassure. Le bleu a certainement des connexions avec l'esprit humain.
*Est-ce que le bleu sera toujours la couleur par défaut sur le bureau ?*
Même si le marron est actuellement très à la mode sur le desktop Linux, le bleu fait évidemment partie de la "charte de couleurs" Mandriva depuis le tout début. Néanmoins, certains auront remarqué que la version Discovery 2006 contient une photo d'île/plage comme fond par défaut.
Enfin, et pas des moindres, nous proposons une fonctionnalité qui permet aux utilisateurs de changer eux-même la couleur de leur écran !
*Quelle est la suite pour Mandriva ?*
L'avenir est très excitant car nous n'avons jamais eu autant d'opportunité de développement qu'actuellement.
La société développe des produits, des services, des projets de recherche, des partenariats avec des industriels et organismes de recherche, étend sa présence sur le marché des entreprises et des organisations à large échelle. Ceci nous donne un surcroît de moyens pour améliorer les produits et en développer de nouveaux, c'est un cercle vertueux.
D'un autre coté, nous avons envie de nous impliquer davantage avec la communauté Linux, et c'est d'ailleurs ma nouvelle mission principale à Mandriva.
Gaël, le 19 octobre 2005